Le phở, plat considéré comme un symbole du Vietnam, possède pourtant une histoire relativement récente comparée aux autres spécialités traditionnelles vietnamiennes. Depuis mon enfance, je n’aimais pas cette préparation à cause de l’arôme puissant du bouillon de bœuf ; je préférais de loin les soupes au goût plus léger, à base d’os de porc ou d’os de poulet. Mais, progressivement et sans que je sache exactement à quel moment, j’ai fini par l’adorer ; c’est une saveur que je suis désormais certain de déguster au moins une fois par semaine.
C’est pourquoi je souhaite mener une étude approfondie sur ce plat : comprendre son origine, retracer son histoire et découvrir comment il a pu connaître un tel succès en si peu de temps. Cet article s’appuiera notamment sur The Pho Cookbook d’Andrea Nguyen ainsi que sur divers journaux vietnamiens officiels.
Le livre The Pho Cookbook d'Andrea Nguyen
Le Vietnam est un pays à l’histoire de plus de 3 500 ans, mais le phở est un aliment relativement récent. Il est né au début du XXᵉ siècle à Hanoï, la capitale du Vietnam, ou dans une petite province située à 50 km de Hanoï. Cela fait l’objet d’un débat, mais en fin de compte, ce plat vient du nord du Vietnam, dans la région du delta du fleuve Rouge.
Plusieurs hypothèses circulent quant à l'origine du mot "phở". L'une d'elles suggère qu'il s'agirait d'une déformation phonétique du mot "phan" (prononcé 'feun'), tiré du plat "tru nhuc phan", une soupe de nouilles au porc populaire dans le sud de la Chine. Cependant, les techniques culinaires et les saveurs de ce plat chinois diffèrent considérablement de celles du phở vietnamien authentique.
Une autre théorie propose une origine française, liant le phở au célèbre "pot-au-feu". Selon cette idée, "phở" serait une adaptation locale et approximative ("bồi", sorte de pidgin) du mot français "feu". Cette hypothèse fait référence à l'époque où le Vietnam faisait partie de l'Indochine française.
Toutefois, la tradition orale vietnamienne, corroborée par des documents datant du début du XXe siècle, offre une explication plus ancrée localement. Elle situe l'ancêtre du phở dans le "xáo trâu", un plat rustique à base de viande de buffle, apparu sur les rives animées et les embarcadères du Fleuve Rouge (Sông Hồng) aux premières années du XXe siècle.
À ses débuts, le "xáo trâu" était un mets destiné aux classes populaires, aux travailleurs manuels et aux journaliers. Cette période, fin du XIXe et début du XXe siècle, coïncide avec l'établissement du protectorat français sur l'ensemble du territoire vietnamien.
Vers 1908-1909, l'activité fluviale était intense. De nombreuses lignes de bateaux à vapeur reliaient Hanoï à des villes comme Haïphong, Nam Dinh et Phủ Lạng Thương. S'y ajoutaient les jonques venues des provinces de Thanh Hóa et Nghệ An, transportant le précieux "nước mắm" (sauce de poisson fermentée) et d'autres denrées sèches. Cette effervescence créa une atmosphère particulièrement vivante et affairée sur les quais du Fleuve Rouge.
Dans ce contexte, un besoin important en restauration simple et économique émergea. Les échoppes de nourriture se multiplièrent le long des berges, mais c'est le "xáo trâu" qui remporta le plus grand succès. Préparé simplement avec des tranches de viande de buffle mijotées dans un bouillon clair et servi avec des vermicelles de riz ("bún"), ce plat était à la fois nourrissant et bon marché.
Par la suite, la viande de bœuf commença à remplacer celle de buffle. Cette évolution s'explique notamment par l'influence française : les morceaux jugés moins nobles par les colons, comme les os ou les chutes de viande non utilisées dans leur cuisine, devinrent disponibles en plus grande quantité et à moindre coût.
L'image de la vendeuse de phở ambulante ("gánh phở rong"), avec sa palanche portant deux caissons (l'un pour le feu et le bouillon, l'autre pour les nouilles, la viande et les herbes), devint si emblématique qu'elle fut immortalisée par Henri Oger dans son précieux recueil "Technique du peuple Annamite", publié entre 1908 et 1909.
Le nom commun "phở" a été officiellement consigné pour la première fois dans le dictionnaire Việt Nam tự điển (Dictionnaire Vietnamien), publié en 1930. Cet ouvrage de référence fut initié par la respectée Association pour la Formation Intellectuelle et Morale des Annamites (Hội Khai trí Tiến Đức) à Hanoï. Mais quel est l'âge réel du phở ? Les archives et témoignages nous offrent des indices précieux.
Un témoin important de l'ancienneté du phở est l'érudit Nguyễn Văn Vĩnh (1882-1936). Dans une lettre envoyée de Paris à sa famille en 1906, il laissa, peut-être sans le vouloir, une trace significative. Il y écrivait : "... entendre les cris des vendeurs ambulants ici [à Paris] me rappelle le Vietnam, et même les appels des vendeurs de phở aux premières lueurs de l'aube". Cette mention suggère fortement que le phở était déjà une réalité familière à Hanoï avant 1906.
On peut donc affirmer que le pho est apparu il y a plus de 100 ans jusqu'à aujourd'hui (2025).
Le phở est autant une affaire de tradition que d'évolution constante. C'est un plat qui réconforte l'âme tout en sachant parfois surprendre, voire provoquer le débat.
Le phở originel était d'une grande simplicité : un bol de bouillon parfumé, des nouilles de riz et du bœuf bouilli. Puis, les cuisiniers commencèrent à proposer, en option, de fines tranches de bœuf juste saisies, encore saignantes (phở tái). Vers la fin des années 1920, l'ajout potentiel d'ingrédients comme le , l'huile de sésame, le tofu ou même l'intrigant "cà cuống" (une essence extraite d'une punaise d'eau géante, au parfum délicat rappelant la poire) suscita des discussions passionnées. Aux alentours de 1930, une nouvelle préparation fit son apparition et fut rapidement adoptée : le "phở xào", des nouilles de riz larges sautées (parfois jusqu'à devenir croustillantes - "giòn") garnies d'un savoureux mélange de bœuf et de légumes en sauce.
La situation connut un nouveau tournant en 1939 avec l'arrivée du pho au poulet ("phở gà") dans les restaurants. Son apparition, souvent limitée aux lundis et vendredis, était probablement une conséquence directe des restrictions gouvernementales interdisant la vente de bœuf certains jours. L'objectif était de préserver les animaux de trait essentiels à l'agriculture. Si les puristes crièrent d'abord à l'hérésie, considérant le phở gà comme une dénaturation du plat authentique, cette version finit par s'imposer. Elle fut reconnue comme une préparation légitime, savoureuse et appréciée à part entière, au point que certains établissements choisirent par la suite de s'y consacrer exclusivement.
D'autres variantes, bien que créatives, n'ont jamais atteint la même popularité auprès du grand public. C'est le cas du phở au bœuf mijoté au vin rouge ("phở sốt vang") ou du phở acide ("phở chua"). De fait, le phở au bœuf (phở bò) demeure le favori incontesté, suivi de près par le phở au poulet (phở gà). Cependant, la cuisine vietnamienne est en perpétuelle innovation. À Hanoï aujourd'hui, les échoppes familiales traditionnelles, dont les secrets se transmettent sur plusieurs générations, continuent de prospérer et d'attirer les foules. Parallèlement, les jeunes générations montrent un vif intérêt pour des déclinaisons plus modernes et moins conventionnelles : les rouleaux frais de nouilles phở ("phở cuốn"), la salade de nouilles phở au poulet ("nộm phở gà") ou encore les nouilles phở croustillantes après friture.
Nos ultimes pensées,
Ainsi, ce plat qui autrefois heurtait mon jeune palais par la puissance de son bouillon est devenu, au fil du temps et de cette exploration, une évidence réconfortante. Comprendre son histoire fascinante, ses origines humbles et son incroyable essor n'a fait qu'approfondir mon attachement. Le phở, bien plus qu'une simple soupe, est un témoignage vivant de la richesse culturelle et de l'adaptabilité vietnamiennes, une saveur que je suis heureux d'avoir enfin apprivoisée.
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